burnout-approche-sociologiqueOn rencontre une même souffrance. Chez cette jeune prof d'anglais débutante et chez ce consultant chevronné, spécialiste des systèmes ERP.

Le récit de cette directrice des ressources humaines d'une grande entreprise ressemble à celui de ce travailleur social dans une mission locale.

Leurs environnements de travail nous paraissent pourtant très différents. Auraient-ils quelque chose en commun?

La recherche de Vincent de Gaulejac

Et si la problématique du burnout était un phénomène de société? S'il était le symptôme de changements dans les modes de gestion des entreprises, qui dépassent le cadre de tel ou tel environnement de travail spécifique?

C'est la piste qu'explore, depuis la fin des années quatre-vingt, le sociologue français Vincent de Gaulejac.

Dans Le coût de l'excellence (voir encadré 1) il éclaire, en collaboration avec la psychologue Nicole Aubert, la nouvelle culture de l'excellence et de la qualité totale. Celle-ci était, à l'origine, une riposte managériale américaine face à la concurrence de l'industrie japonaise.

Une rhétorique de la performance omni-présente

Au cours des dernières décennies, une véritable rhétorique de la performance a envahi toutes les sphères du management des plus grandes entreprises aux plus petites.

Aujourd'hui, une logique de gestion pourtant essentiellement mercantile s'affirme sans pudeur aucune dans les chartes des institutions internationales comme dans les contrats-programmes des services publics.

Une logique mercantile et une rhétorique de la performance envahissent les entreprises publiques et privées

La plus modeste des antennes locales d'action sociale parle aujourd'hui de ses "clients". Non, il n'y a plus ni bénéficiaires, ni usagers, ni allocataires! Et elle se dote de "critères de performance" pour "mesurer" le "rapport qualité/coût" de ses interventions.

Conséquences pour l'équilibre psychique

Que le nouveau langage managériel flirte parfois avec l'absurde ferait sourire s'il n'avait pas, sur le terrain, des conséquences psychologiques concrètes et parfois douloureuses.

D'après Vincent de Gaulejac (voir encadré 2), les demandes contradictoires et l'impossibilité de les dénoncer (pour peu qu'on tienne à son emploi) peuvent générer:

L'incertitude

Quelle conduite privilégier quand il faut, en même temps, viser des résultats (souvent abstraits) à long terme et d'autres (souvent concrets) à court terme?

L'angoisse

Des deux types de résultats, lequel sera déterminant lors d'une évaluation?

L'incompréhension

Comment s'engager dans la construction patiente de relations durables quand la rémunération et/ou les primes exceptionnelles dépendent surtout de transactions aléatoires (si ce n'est du cours de l'action de l'entreprise)?

Dans ma pratique de psychothérapeute

Est-ce que les contraintes et paradoxes que les sociologues du travail décrivent peuvent être à l'origine de véritables troubles mentaux?

Mon expérience m'invite à répondre d'une manière nuancée.

Il est vrai qu'un environnement de travail incohérent peut plonger une personne dans un état de confusion préoccupant. Il arrive même que ses actes ou ses propos paraissent alarmants à son entourage privé ou professionnel.

Mais il est tout aussi vrai que de tels symptômes disparaissent souvent à l'issue de quelques entretiens et de quelques semaines de repos. Cela ne serait pas le cas en présence d'une véritable psychopathologie majeure.

L'information, un accompagnement adéquat et le soutien des proches sont toutefois essentiels pour éviter que le désarroi ne mène à des actes désespérés.

La performance... à tout prix?

aubert-ea-2007

Dans Le coût de l'excellence, Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac nous montrent à quel point "gérer" est devenu le mot-clé de notre société.

Nous devons gérer notre temps. Nos enfants. Notre couple.

Dans l'entreprise, nous devons gérer notre travail, notre équipe, notre carrière et...

Et gérer une qualité totale qui, au nom de l'excellence, ne permet plus aucune erreur.

Cette logique a un coût. Le stress permanent, les "décompressions" physiques et psychiques, la "brûlure interne" de ceux qui se consument dans l'obsession de la performance constituent la face cachée de cette course à la réussite...

Sommes nous malades de la gestion?

Vincent de Gaulejac - 1

Les signes d'une crise profonde se multiplient dans les organisations et plus largement dans le monde du travail: stress, burnout, dépressions, suicides, perte de sens, précarité, pertes d'emplois, révoltes, manifestations, séquestrations, occupations.

Ce sont là autant de manifestations destructives qui semblent toucher l'ensemble des entreprises et des institutions, privées et publiques...

Mais peut-on encore parler de crise lorsqu'elle devient permanente?

Invité d'Audrey Pulvar sur France Inter, Vincent de Gaulejac parle plutôt d'un phénomène social total.