Mais que font-elles chez un psy, ces jeunes personnes en bonne santé, talentueuses, souvent diplômées de l'enseignement supérieur, parfois généreusement soutenues par leur famille et... Et pas vraiment malheureuses en amour?
Qu'a-t-elle donc, Muriel?*Dans ce qui suit, tous les prénoms et certains détails des situations ont été modifiés pour préserver l'anonymat des personnes qui m'ont consulté Elle a... Elle a vingt-cinq ans. Elle a un Master plutôt prestigieux en poche. Elle a un CDI dans la consultance. Elle a deux collocs avec lesquelles elle s'entend bien. Elle a une relation avec un garçon rencontré en dernière année de fac qui devient de plus en plus sérieuse. Et elle a des crises d'angoisse qui deviennent de plus en plus paralysantes et que personne autour d'elle ne comprend depuis qu'elle n'arrive plus à les cacher.
Son ami Thomas a un an de plus. N'a toujours pas présenté son TFE dont il lui reste, depuis bientôt trois ans, une dizaine de pages à écrire. Il enchaîne les petits boulots mal rémunérés dans la restauration rapide. Est retourné vivre chez sa maman ce qui limite les frais de logement mais ce qui lui coûte autrement: Croiser tous les matins le regard d'un beau-père qui le juge sans complaisance devient insoutenable. Rencontrer les parents de Muriel? La perspective l'effraie et lui inspire des idées tellement noires qu'il n'ose même pas les exprimer.
Des situations comme celles de Muriel et de Thomas sont toujours plus fréquentes et je dois avouer qu'elles m'ont parfois laissé très perplexe. Je sais qu'il arrive qu'elles nous fassent sourire (on peut songer au film Tanguy). Mais il arrive aussi qu'elles soient préoccupantes par l'ampleur des symptômes anxio-dépressifs ou par les troubles comportementaux qui les accompagnent.
Ce phénomène nouveau finira-t-il par intéresser des sociologues qui nous permettront de mieux comprendre ses origines? Pour l'heure, le sujet n'est abordé que par des auteurs ou chroniqueurs anglo-saxons. Parmi ces derniers, Alexandra Robbins et Abby Wilner ont compilé un recueil de récits et de témoignages (voir encadré 1) sur ce qu'elles appellent la "quarterlife crisis" (par analogie avec la midlife crisis). Elles ont observé, chez les jeunes personnes entre 20 et 30 ans, un ensemble de pensées et de questionnements qui peuvent devenir obsessionnels:
Une psychothérapie qui ne permettrait pas au jeune adulte de progresser vers une réponse à cette dernière question n'irait pas au-delà du soutien temporaire mais... Mais tant que les autres craintes n'auront pas été explorées avec bienveillance et apaisées, elles feront obstacle à ce progrès.
Récemment, trois chercheurs anglais ont proposé un modèle*L'écho considérable qu'a reçu la publication scientifique de Robinson, Wright et Smith dans les médias généralistes et dans les magazines de psychologie paraît indiquer que nous sommes nombreux à attendre des éclairages sur un sujet encore peu étudié. d'inspiration systémique qui permet de baliser le parcours des personnes qui connaissent cette crise de quart de vie. Cinquante entretiens avec des adultes leur ont permis de distinguer quatre phases:
Un engagement objectif dans la vie adulte est subjectivement ressenti comme un état de fait que la personne subit. La situation ne répond pas à ses véritables attentes mais il semble impossible d'y échapper. La personne se plie aux exigences des autres, joue son rôle d'adulte et n'ose pas exprimer son désaccord ou son mal-être.
La personne rompt avec un ou plusieurs engagements (affectif, professionnel, social). Cette rupture s'accompagne de sentiments de culpabilité, d'anxiété, de tristesse. La fierté d'avoir osé s'affirmer peut alterner avec la honte d'avoir déçu les autres. Quand un partenaire ou un employeur a pris l'initiative de la rupture, la fin de l'engagement sera d'abord vécu comme une atteinte à l'identité.
Un deuxième temps de cette même phase est le retrait: la personne s'isole pour réfléchir à ses engagements futurs et évite provisoirement de renouer d'autres liens. (Ce retrait, qui fait partie d'un processus de détachement, peut également précéder la rupture.)
Libérée du ou des engagement(s), la personne acquiert également la liberté d'explorer de nouvelles opportunités et de redéfinir ses relations aux autres. D'une identité statique et imposée elle évolue vers une identité dynamique qu'elle peut ajuster aux situations dans lesquelles elle désire s'inscrire. Un appétit un peu excessif (changements fréquents de partenaire ou de travail) marquera cette phase chez une personne qui a subi une rupture et qui cherche à se réaffirmer.
Plus cohérente dans ses attentes, plus décidée à réaliser des objectifs désormais personnels et clairs, la personne s'engage avec lucidité dans de nouvelle relations. Celles-ci ne pourront plus être simplement instrumentales mais devront avoir un sens et correspondre à ses valeurs.
On dit parfois que la psychothérapie brève n'est pas (vraiment) une psychothérapie et qu'elle n'est pas (toujours) brève. Si ce n'est souvent qu'une boutade, j'avoue qu'elle s'applique parfaitement à l'accompagnement des jeunes adultes.
La démarche n'est que rarement brève. Il est difficile de prévoir combien de temps va séparer le début de la phase d'impasse décrite ci-dessus et la fin d'une reconstruction satisfaisante. Quelques mois? Parfois. Mais il peut aussi s'agir de plusieurs années. Oops, dans ce dernier cas, faut-il s'attendre à des dizaines et des dizaines de séances de thérapie? Non.
Non, parce que l'essentiel du parcours ne demande aucune intervention de la part d'un psychothérapeute. Il devra être présent dans les premières phases où les symptômes dépressifs, anxieux ou comportementaux sont parfois envahissants. Ensuite, c'est dans un rôle de coach qu'il accompagnera parfois d'une manière ponctuelle l'exploration de telle ou telle opportunité.
Et dans la phase de reconstruction? Oh, le thérapeute ne demande qu'à encourager les nouveaux engagements de la personne qui l'a consulté mais... Mais quand tout va bien, le jeune adulte n'a pas besoin d'approbation et n'a plus une minute à perdre dans le cabinet d'un psy.
Robert, le voisin qui habite la grosse villa avec piscine à l'autre bout de la rue, vient de fêter ses 50 ans. Tu le sais, parce que tu te souviens que sa femme a récemment organisé une super fête suprise qui a fait du boucan dans le quartier. Tu le sais aussi parce qu'il vient de se teindre les cheveux en blond (!). Qu'il a échangé son costume Boss pour des jeans Armani et un veston en cuir. Son monospace gris pour une décapotable rouge. Et sa femme pour une petite amie qui a la moitié de son âge (et de son poids).
Pourtant, à part quelques voisines solidaires de l'épouse, personne dans le quartier n'est vraiment ému. Bah, Robert, c'est la crise de la quarantaine, te disent les gens. C'est un peu inévitable. Tout le monde passe par là. Il doit se retrouver...
Si tu lis ce livre, c'est que tu n'es probablement pas Robert. Tu le sais, parce que tu ne peux pas te payer des jeans Armani. Tu le sais aussi parce que tu conduis la Volvo de tes parents (quand ta mère n'en a pas besoin). Et tu le sais parce que, fille ou garçon, tu épouserais bien la femme de Robert si tu étais sûr(e) qu'elle pourra garder la grosse villa et la piscine.
(Librement adapté de la 4me de couverture de: Quarterlife crisis - The Unique Challenges of Life in Your Twenties)