Sur ce site comme dans ma pratique, j'essaie d'éviter les mots abstraits à cinq syllabes. Mais ...
Dans le couple, il faut bien reconnaître qu'une crise se résout plus facilement avec une petite dose de "constructivisme".
Notre langage de tous les jours exprime très simplement ce véritable parcours d'apprentissage qu'est la vie à deux. Nous faisons la "connaissance" de quelqu'un. Et puis, au fil des jours et des années, nous "apprenons à le connaître".
Pas à pas, nous "construisons" un véritable "savoir" sur notre partenaire. Nourri d'éléments de son histoire. D'observations quotidiennes. De suppositions quant à ses intentions. De théories sur sa personnalité.
Oui, toute cette démarche intuitive est en tout point comparable à celle qui aboutit aux connaissances scientifiques. Elle vise par ailleurs le même but: Mieux comprendre le monde pour le rendre un peu plus prévisible.
Au tout début, une nouvelle rencontre nous intrigue et nous surprend. Quand nous sommes très amoureux, c'est l'univers tout entier qui nous semble enchanté en présence de l'être cher! Mais un projet de vie à deux ne peut se convevoir dans un état d'éternel émerveillement. Une relation durable suppose que nous sachions qui est l'autre, ce qu'il pense, comment il se comporte, ce que vaut son engagement. Très vite, nous aurons recours à des:
Nous approuvons ou réprouvons certains traits de caractère, comportements, intérêts ou convictions. Souvent sans chercher à les comprendre. Eric est pingre. Suzannne écoute de la musique débile. Paul est serviable. Chantal n'est pas respectueuse.
Le jugement affirme et confirme nos certitudes: tout ne peut pas être remis en question! Devrions-nous juger un peu moins ou un peu moins vite? Il est tout aussi vrai que le jugement est le fondement de toute éthique et morale et donc de toute règle de vie en société.
Nous classons les personnes en fonction de critères plus ou moins objectifs. Marc vient de Mars et Fabienne de Vénus. Souhila vient de Casablanca et Paul vient de Liège. Henri est un artiste extraverti et Charlotte une intello timide.
Ces classes nous fournissent une foule d'informations sur une personne (ses propriétés) à partir d'une seule (son appartenance). Oui, elles sont fatalement réductrices et peuvent être franchement caricaturales. Mais elles sont aussi la base de toute organisation humaine.
L'esprit humain est un producteur infatiguable d'hypothèses! Je parie que c'est pour le plaisir de me contrarier que Caroline vient en retard! Marc n'a sûrement pas apprécié les pâtes, sinon il se serait resservi. Géraldine doit être fâchée, ça fait trois jours qu'elle n'a pas envoyé de SMS.
Oh, les hypothèses sont utiles! Elles sont au coeur de toute recherche scientifique. Mais celle-ci exige qu'on les vérifie! Dans la vie courante, nous avons tendance à les tenir pour vraies, même quand notre partenaire les dément formellement.
Pourquoi? Hauts comme trois pommes, nous épuisions déjà nos parents avec cette question. Devenus adultes, nous cherchons encore et toujours des relations de cause à effet. Et nous les trouvons! Dans l'enfance de Mourad. Les fréquentations de Patrizia. Le handicap de Jacques. Tout ceci explique tout cela...
Nos principes explicatifs sont rassurants. Ils donnent sens à ce qui, sans eux, serait une expérience chaotique. Mais ils sont également un frein au changement. Quand le passé détermine le présent... il devient illusoire de nous approprier notre avenir.
Tout ce qui précède façonne nos attentes. Notre expérience quotidienne de la relation nous paraîtra de plus en plus conforme à l'idée générale que nous en avons. Et notre vie de couple deviendra parfaitement prévisible. Oui, nous pouvons même devenir aveugles aux événements qui défient nos croyances.
Cette évolution est tout à fait normale. On nous dit parfois qu'il ne faut pas généraliser. Mais sans généralisations, il n'y aurait aucun savoir à partager et la vie ne serait qu'un catalogue décousu de faits divers.
Quand tout va bien, notre vision de l'autre nous convient. Est-elle un peu figée, limitée, stéréotypée? Au point de nous faire rire quand nous reconnaissons ses tics et manies (et les nôtres!) dans les sketches humoristiques? Peut-être, mais elle est cohérente et permet des échanges rassurants. Avec le temps, même nos disputes se mettent à répondre à des règles et sont résolues d'une manière convenue.
Qu'est-ce qui pourrait mettre à mal notre petit "paradigme" que nous avons mis des années à construire?
Parfois, c'est un événement inattendu. Notre partenaire semble soudain agir d'une manière qui bouscule nos croyances et nos habitudes. Muriel pensait connaître David mais, là, elle ne le comprend plus! Aurait-elle vécu tout ce temps à côté d'un parfait étranger?
Parfois, c'est un événement prévisible comme le sont les transitions naturelles dans la vie familiale ou professonnelle. Jacques le consultant surmené ne ressemble pas à l'étudiant insouciant dont Caroline appréciait la bonne humeur. Mais est-elle encore la copine complice qu'il a connue à la fac, depuis la naissance de leurs jumelles?
Parfois, c'est l'absence d'événements. Les compromis inévitables ne sont pas devenus plus frustrants. Mais les moments agréables qui justifiaient quelques concessions ont graduellement laissé la place à un quotidien routinier. Fabrice me dit: Chantal ne me surprend plus. Je la connais par coeur. Elle ne changera jamais.
Dans un cas comme dans l'autre, une thérapie de couple est une opportunité de ré-inventer (et de ré-enchanter?) la vie commune avec un partenaire que nous aurons à re-découvrir et qui devra également faire l'effort de ré-apprendre à nous connaître.
Dans mon travail avec les couples, cette approche "constructiviste" produit des résultats concrets surprenants. Parfois en moins de cinq rencontres. Et presque toujours dans une ambiance cordiale et détendue.
Elle permet d'emblée de reconnaîte que la simple présence du couple dans le cabinet du psychothérapeute est souvent une petite révolution. Jusqu'à la dernière minute, Sandrine craignait que son compagnon n'allait pas l'accompagner. Non seulement Jawad est là, mais il se confie longuement! Lui qui, hier encore, disait pis que pendre des psys et avait juré qu'il ne prendrait pas la parole.
Dans cette approche, le contenu de ce que les partenaires se disent est moins important que le simple fait qu'ils soient en sécurité pour l'exprimer et l'entendre. Ce n'est pas le thérapeute qui doit interpréter et intégrer ce contenu dans sa vision du couple! Les confidences inattendues de Jawad auront un effet sur les perceptions et attentes de Sandrine auquel un commentaire psychologisant n'ajouterait rien.
Pour faciliter le dialogue, mes interventions sont plutôt rares et concernent avant tout les obstacles au changement que sont les jugements, classifications, suppositions, explications et généralisations. A chaque fois qu'un tel obstacle est écarté (parfois avec une pointe d'humour) le couple retrouve un peu de liberté.
À deux.