Examinant 15 études récentes ayant trait à la psychoéducation familiale dans leur Update on Family Psychoeducation for Schizophrenia, Dixon, Adams et Lucksted (2000) nous apprennent qu’il arrive, fût-ce encore trop rarement, que les besoins d’aide des familles de schizophrènes soient effectivement reconnus et pris en compte par les organismes de soin.
Les auteurs signalent que le Schizophrenia Patient Outcomes Research Team (PORT)* a émis un avis très favorable sur la psychoéducation familiale et qu’il a formulé à son sujet des recommandations parmi lesquelles ils citent (i) qu’un programme d’une durée d’au moins 9 mois devrait être offert aux patients et à leur famille et que leur formation doit couvrir des connaissances sur la maladie, sur le soutien familial, sur les interventions d’urgence et sur la résolution de problèmes (ii) que ce programme doit être accessible à toutes les familles et pas uniquement à celles où règnerait un haut niveau d’expression des émotions et (iii) qu’il faut exclure le recours à toute thérapie associant un dysfonctionnement familial à l’étiologie de la schizophrénie.
C’est encore sur ce dernier point que les auteurs reviennent dans la liste des facteurs auxquels les divers programmes de psychoéducation développés dans les années ’80 et ’90 devraient leur succès. Ces programmes ont en commun d’être encadrés par des professionnels et d’associer la famille comme « agent » thérapeutique à la gestion d’une maladie mentale reconnue comme telle et nécessitant un traitement incluant une médication. Tous se démarquent formellement des thérapies familiales traditionnelles qui considèrent les relations ou interactions entre les proches et le patient comme pathogènes.
Notons toutefois que la psychoéducation cherche pour sa part à remédier à des excès d’émotion exprimée (EE) au sein de la famille, que ce soit sous la forme de critiques, d’hostilité ou d’une sur-implication. Cette EE pourrait être un déclencheur de rechutes chez une personne peu apte à faire face à un environnement émotionnellement surchargé. Le paradoxe n’échappe pas à certaines familles *Ni aux théoriciens de la double contrainte ! qui estiment que ce reproche EE vient simplement remplacer celui de la double contrainte.
Les résultats des 15 études publiées dans les années ’90 paraissent, pour autant qu’on les considère dans leur ensemble, indiquer que la psychoéducation familiale peut effectivement produire des bénéfices pour le patient et ses proches mais leur examen individuel soulève un nombre de questions.
Il paraît tout d’abord que ces bénéfices sont les plus importants en termes de réduction des rechutes des patients quand ceux du groupe contrôle n’ont reçu qu’une attention minimale. Ils deviennent, en revanche, quasi insignifiants quand ces derniers ont reçu une thérapie individuelle spécifique et soutenue, une médication avancée et/ou ont participé à d’autres formes de traitements communautaires. Ce serait donc surtout dans le secteur public états-unien, disposant de peu de fonds, que la psychoéducation familiale produirait, selon les auteurs, les meilleurs résultats.**
Les auteurs questionnent également la mesure quantitative qui prévaut aujourd’hui. L’objectif principal demeure la réduction des rechutes chez le patient alors que d’autres gains, au niveau du bien-être familial, passent encore au second plan.
Ce qui fait réellement le succès d’un programme de psychoéducation paraît difficile à déterminer et tout au plus peut-on, pour l’heure, constater que la durée de 9 mois posée comme minimum par le PORT semble bien nécessaire. En revanche, il apparaît que la composante de la formation visant spécifiquement une réduction de l’émotion exprimée peut être contreproductive dans une famille qui n’a de fait aucun problème à ce niveau. Celle-ci se sentira injustement mise en cause, ce qui aura pour effet pervers d’augmenter son désarroi. Eduquer les familles avec de bonnes intentions mais sans s’inquiéter d’abord de leurs véritables besoins peut donc aussi devenir une manière comme une autre de ne pas vraiment les écouter.
Une dernière réserve qu’émettent les auteurs est celle de l’environnement encore expérimental au sein duquel sont validés les différents programmes. Sa grande rigueur (formations bien définies et strictement implémentées par des formateurs compétents auprès de familles coopératives) peut favoriser une issue qui pourrait s’avérer, lors d’une pratique plus « courante », nettement plus incertaine.
Car, non, la pratique n’est pas encore « courante » du tout même si, pour le PORT, la psychoéducation familiale est bel et bien une « best practice ». Le même organisme rapporte par ailleurs un chiffre surprenant : parmi un échantillon de patients en traitement pour schizophrénie et toujours en contact avec leur famille… cette dernière n’aurait reçu une information médicale sur la maladie de leur proche que dans 31 % des cas !
Au nombre des obstacles à la mise en œuvre de la psychoéducation, les auteurs comptent le coût de l’intervention, la stigmatisation persistante de la maladie mentale, la difficulté de changer les habitudes dans les institutions, des tensions entre les patients et ceux qui en ont la charge, un manque de formation chez les professionnels et, encore et toujours, cette crainte chez les familles d’être blâmées – le spectre de la psycho-dynamique est ici sans doute tout aussi effrayant que celui de la systémique ou celui de la théorie EE – bien plus que respectueusement associées.
Il se peut – les auteurs ne le disent pas mais le premier article (cfr. supra Identité parentale) nous le suggère – que se soit justement l’absence de tels obstacles au sein des groupes d’entraide pour les parents et les patients qui favorise l’émergence d’une autre forme d’éducation familiale, organisée par ces groupes sur une base peer-to-peer. Visant avant tout le bien-être des familles, de telles formations, organisées et conduites par des bénévoles, ne requièrent pas que le patient soit en traitement, sont d’une durée plus courte et sont financièrement plus accessibles. Elles connaissent dès lors un certain succès mais leur efficacité n’a pas été (du moins, au moment de la publication de l’article) scientifiquement évaluée.
Se développent également des services de conseil familial qui fournissent une guidance individualisée aux familles et qui s’emploient aussi à les orienter utilement vers d’autres intervenants ou services administratifs en fonction de leurs besoins spécifiques.
Même si les résultats des psychoéducations familiales semblent très encourageants, sans doute faudra-t-il encore longtemps continuer d’articuler l’aide aux proches des patients souffrant de schizophrénie autour des apports de plusieurs prestataires de soins et de services pour répondre à une triple demande d’information, de formation et… tout simplement… de soutien.
- - -
* Créé aux Etats-Unis en 1992 par une agence fédérale appartenant au département de la santé et le NIMH, le PORT a pour mission de formuler et de communiquer des recommandations scientifiquement validées pour le traitement de la schizophrénie.
** Les auteurs n’indiquent toutefois pas avec quels moyens ce secteur financerait des programmes de psychoéducation alors qu’il n’en a même pas pour offrir aujourd'hui un minimum d’accompagnement aux familles.
Pour la bibliographie de cet article, voir la page Références